Si vous avez lu l’article précédent, vous en savez d’ores et déjà un peu plus sur nous.
Pour résumer, nous sommes un studio indépendant de 5 personnes nées après 1990, et nous avons lancé fin 2016 un Kickstarter pour démarrer le développement de notre premier jeu : Shattered – Tale of the Forgotten King.
Cet article se veut un résumé subjectif de ces années de travail, des premiers brainstorming bouillonnants aux derniers jours de crunch auto-infligé. Shattered est un projet hybride ayant énormément évolué au cours de son développement.
J'espère pouvoir expliquer ici comment notre petit titre indépendant s'est transformé en chimère vidéoludique, avec à la fois les ailes, la tête de lion et la queue de serpent...
Nous sommes en 2015 lorsque Maxime réunit des anciens camarades de classe de Bellecour (école lyonnaise de jeu vidéo) et leur propose de monter un projet ensemble. Initialement, il devait s’agir d’un petit jeu mobile – un univers onirique et des mécaniques simples, pour se faire la main avant de passer aux choses sérieuses.
Cependant, l’équipe arrive très vite à la conclusion suivante : aucun d’entre nous n’apprécie particulièrement les jeux mobiles, et personne n’y joue. Refusant de créer un jeu auquel nous ne jouerions pas nous-mêmes, nous nous tournons vers l’hypothèse d’un titre PC.
Franc succès dans les rangs – alors nombreux – de notre jeune équipe.
Forts de l’enthousiasme d’une grosse dizaine d’étudiants réunis autour de nous (« nous » désignant la petite équipe nucléaire qui tiendra jusqu'à aujourd'hui), un prototype se monte petit à petit entre les heures de cours. A l’été 2016, nous décidons de tenter l’aventure du financement participatif. A ce moment là, le jeu vidéo indépendant est assez présent sur Kickstarter, et plusieurs exemples de petits studios ayant eu des soutiens fulgurants sur la plateforme nous confortent dans notre entreprise.
Sur un coup de chance improbable, notre projet est remarqué par le Square Enix Collective, annexe du géant japonais chargée de s’intéresser aux indépendants, qui nous épaule dans la création de notre campagne et nous invite à Los Angeles pour l’E3 2016.
Quatre envoyés se retrouvent donc aux USA, à peine sortis d'école, un PC portable sous le bras, au milieu d'un salon professionnel international immense, où les gens portent des cravates et s'appellent par leurs prénoms. Amélie et Maxime sont interviewés en live par IGN.
On flotte, on tremble, on hallucine pas mal.
Grâce à l'aide du Collective et de notre PR, de notre exposition à l'E3 et des streamers ayant testé le prototype en live pendant la campagne, nous fêtons notre première vraie victoire quelques mois plus tard : Shattered est financé sur Kickstarter à 138%.
Cela nous permet de passer la seconde ; nous louons des locaux et du matériel pour accueillir l'équipe dans les meilleures conditions possibles. On retape tout, et on se relance immédiatement à la recherche de financements pour compléter notre budget idéal.
Les choses deviennent moins faciles à partir de ce moment là, et notre bonne étoile semble décider de nous laisser nous débrouiller un peu tout seuls. Sur les dizaines de dossiers que nous envoyons pour des subventions et des partenariats, aucun de nous revient tout à fait positif. Nous sommes une équipe trop jeune, trop neuve : notre projet intéresse, mais notre inexpérience fait peur. Nous comprenons qu’il va falloir faire nos preuves avant qu’on puisse nous faire confiance, et qu’une campagne de financement participatif réussie n’est apparemment pas suffisante.
Les étudiants autour de nous commencent à réaliser la difficulté de l’entreprise, son caractère particulièrement précaire et incertain, et surtout l’instabilité financière induite ; les fonds du Kickstarter passant en premier lieu pour garder les locaux. Plusieurs s’en vont dès les premiers mois, d’autres continuent un moment avec nous avant de quitter complètement le milieu du jeu vidéo. 2017 et 2018 sont des années étranges, où nous avons pour la plupart des boulots à côté pour payer nos loyers (je bossais pour ma part dans un escape game du vendredi au dimanche, et le reste de la semaine sur Shattered), où nous essayons de réorganiser nos charges de travail et nos manières de fonctionner alors que l’équipe ne cesse de s’amoindrir.
Une légère brise de panique se lève lorsque que nous faisons face à l’évidence : le projet, initialement pensé pour 15 personnes, est bien trop ambitieux pour une équipe de novices moitié moins nombreuse et continuant de diminuer. D’un jeu morcelé en 3 continents, nous décidons alors que n’en garder qu’un, mais de le rendre plus vaste. Nous sommes pris entre les promesses faites à nos backers, la réalité de la situation et nos envies propres. Les décisions sont difficiles à prendre.
Heureusement, nos efforts paient et après avoir largement amélioré le jeu (et rencontré notre ange gardien de la finance Christian, sans qui les choses auraient été vraiment très différentes) nous recevons le soutien de la BPI, du CNC et, un peu plus tard, l’Epic Mega Grant d’Unreal Engine. Le parcours d’obstacles semble enfin terminé. Retour au marathon.
En 2019, nous décidons de sortir Shattered en Early Access. A ce stade, nous avons construit une communauté dont nous sommes proches et très fiers, nous choisissons donc de prendre le risque d’une sortie anticipée pour avoir leurs retours directs.
Evidemment, le lancement ne se passe pas comme prévu : on se prend les pieds dans toutes les erreurs de débutants imaginables et Internet nous le fait bien sentir. Nous passons une bonne semaine à répondre à chaque commentaire individuellement et à fixer tout ce qu’on nous fait remonter. Petit à petit, notre page Steam redevient bleue.
L’année qui suit la sortie de l’Early Access est la plus stable que nous n’avons jamais connue jusqu’à présent. Notre équipe est désormais fixée, nous avons des salaires, et les interactions avec notre communauté nous donnent des ailes. Nous savons où nous allons, et nous savons comment nous y rendre.
… Et nous voilà.
A deux doigts de sortir Shattered - Tale of the Forgotten King pour de bon.
On ne peut pas savoir comment il sera perçu, s’il sera remarqué ou seulement un jeu de plus dans l’océan des sorties vidéoludiques, mais nous sommes extrêmement fiers du chemin parcouru jusqu’ici, et extrêmement fiers du résultat. Shattered est clairement une chimère un peu étrange, mais elle est tout ce que nous avons souhaité qu’elle soit.
Puissiez-vous apprécier votre voyage en Hypnos, chers Voyageurs ♥